Les fouets de lamour.
Une toute petite histoire : je rencontre un ami dans une boutique du Marais. Nous bavardons deux minutes, puis il me chuchote : "Viens voir par là, il faut que je te montre quelque chose..." Il a les yeux qui brillent et lair ravi du chat sauvage qui vient de dévorer trois souris très dodues. Il m emmène dans un coin sombre : "Regarde, regarde ce quil ma fait, lautre, il y a deux jours", souffle-t-il en baissant son short de cuir. Sur les reins, les fesses, en travers des cuisses, des marques noires qui commencent à virer au bleu-violet. Des marques bien droites, que je reconnais tout de suite : "Il en a même cassé sa ceinture", ajoute mon camarade, qui ne semble pas le moins du monde avoir lintention dappeler SOS Tapioles battues. "Touche. Ça donne envie, hein ?"
Des coups et des douleurs.
Oh oui, ça donne envie... Ou alors, ça fout une trouille terrible. La ceinture, le martinet, la fessée, qui vous rappellent - ou pas, justement - de cuisants souvenirs denfance ; le fouet, linstrument du bourreau, du dresseur de fauves, du maître des galériens ; la matraque, celle que vous lorgnez avec concupiscence quand vous croisez nuitamment un vigoureux CRS... : ils sont légion, les instruments contondants susceptibles de traverser lair à grande vitesse, tenus par une main ferme et déterminée, pour atterrir sèchement sur une surface donnée de votre peau dénudée. Ça siffle. Ça chuinte. Ça claque. Ça brûle, ça senroule autour de vous. Et vous, vous ne dites pas : "Arrête, tes malade ou quoi ?", non, vous restez là, vous pensez : "Pourvu que ça continue, pourvu que je tienne longtemps", vous murmurez : "Encore..."
Le fouet (parmi la théorie des ustensiles précédemment évoqués) parle immédiatement à limaginaire, quel que soit le côté du manche qui vous intéresse. Hervé Bernard, Mr Drummer 1997, un spécialiste de la diversité, connaît parfaitement le sujet : "Lors de mon élection, je me suis servi, pour mon show, dun fouet avec lequel je mautoflagellais. Le fouet me semble être un des symboles (et une des pratiques) les plus représentatifs et les plus intenses du SM. Cest linstrument de domination et de punition. Le maître devient dresseur et lesclave, animal.
Ce nest pas le fouet qui fascine, cest lidée de la douleur et du plaisir quil peut procurer. Il renvoie à laspect le plus mystérieux du SM pour les non-initiés : comment aimer cette souffrance, comment en jouir ? Le rite peut paraître obscur à ceux qui voient déjà, chez les hards, de sombres malades mentaux. Lors dune séance, lattente du coup qui va tomber, lattente de lintensité, langoisse de savoir à quel endroit et pendant combien de temps encore... la peur de ne pas tenir, la peur de ne pas être assez performant (mêlée au désir de repousser ses limites), lexcitation de labandon, de la brûlure, la douleur qui réveille les sens, la chaleur, lendurance qui augmente progressivement grâce aux substances euphorisantes ou analgésiques que le fouetté va sécréter : tout cela emmène le fouetteur et le fouetté dans un jeu qui se termine "à coup sûr" par une reconnaissance, une appartenance et une gratitude mutuelle."
Voilà ce qui sappelle faire un assez joli tour de la question, non ? Mais reprenons : lexistence même dun instrument entre (restons simples) la main du maître et le corps de lesclave explique peut-être la fusion, la transcendance étrange dont parlent tous les amateurs de fouet (on a dit : restons simples). Daucuns railleront cette nécessaire présence ("Oui, vous, quand vous avez oublié vos ustensiles à la maison, vous restez comme des crétins à vous tourner les pouces dans la backroom, alors que nous, avec nos bites et nos couteaux...". Dabord, cest oublier un peu vite les délices de la fessée - qui seront, rassurez-vous, évoquées in extenso dans un futur numéro de ce magazine - ou le charme féroce des coups de rangers. Ensuite, cest mésestimer limportance de la lumière dans ce genre de pratique : si l esclave souvent ferme les yeux, se concentrant sur les sensations de sa chair meurtrie, le maître aime à contempler le corps quil torture, les soubresauts de souffrance, la peau qui rougit, la sueur qui coule, les poings serrés... ) ; nous pensons, au contraire, que cette présence contribue grandement à léchauffement des âmes - avant celui des corps. Comme dans tout fétichisme, lobjet excite immédiatement limagination, vous projette... de plein fouet, disons... , dans le jeu, celui où lun commande et où lautre sabandonne. Et à ce jeu, il ny a pas de perdant. Celui qui tient le fouet commande peut-être, mais seulement au début ; il finit par se laisser entraîner par la force du désir de celui qui sabandonne... et qui voyage, avec le maître, souvent plus loin quils ne lavaient imaginé tous les deux.
Dans les vrais bons plans SM (cest-à-dire pas ceux où un sadique qui bande mou vous saccage le dos à la cravache, comme une machine à faire mal, et se désintéresse de vous dès quil a trop mal au bras pour continuer à vous cogner ; pas ceux où une larve se traîne à vos bottes pour récolter nimporte quelle raclée, sans même avoir croisé votre regard pour se mesurer à vous, vous provoquer...), cest celui qui souffre qui force lautre à aller plus loin, plus fort. La violence des coups samplifie, petit à petit, et il arrive souvent que lesclave, sil est entre des mains attentives et expertes, finisse par ne plus ressentir la douleur.
Cest une épreuve dendurance, un test pour son propre corps : lesprit prend toute la place et bouleverse les signaux des terminaisons nerveuses. Exactement comme un sportif qui commence par peiner, lutter et se battre contre lui-même pour continuer et se dépasser, vous finissez, submergé par les hormones que votre cerveau fait fabriquer à toute allure, par éprouver une troublante euphorie. Voilà, la souffrance sest transformée en plaisir, vous allez au devant delle, vous la désirez, vous en redemandez, vous ne voulez plus que ça sarrête ; cest vous qui dirigez lattelage, à présent, et la punition cessera, bien souvent, quand votre bourreau criera grâce en rendant les armes.
Il y a tant de fierté dans le dépassement, dans cet abandon extrême, au bord du danger. Il devrait toujours avoir du respect et de la reconnaissance, normalement, chez celui qui reçoit loffrande du corps de lautre. Le maître éprouve un tel vertige quand lesclave lui tend le fouet, lui tourne le dos et sabandonne à son bon vouloir. Elle est terrible, livresse qui sempare de vous à ce moment-là, celui de la punition, de la correction (appellez-ça comme vous le sentez, le prétexte nest pas obligatoire ; la seule bonne raison, cest le désir commun) : vous vous sentez au-delà de lhumain, ébranlé, débordé, votre bras se déploie, votre main ne tremble pas, vous respirez plus vite. Il y a aussi cette espèce de calme furieux qui régule les battements de votre coeur ; tous vos sens sont exacerbés, décuplés : le claquement des lanières sur la peau, les gémissements, voire les cris du fouetté, vous excitent ; les marques que vous infligez vous troublent, réveillent à la fois votre colère et votre tendresse, lodeur de la sueur, du cuir qui chauffe, vous fait frémir de bonheur. Et le maître et lesclave, à la fin, reviennent de loin tous les deux, comme dune transe très secrète, dun voyage où ils ont appris beaucoup sur eux-mêmes et sur lautre. On en revient, oui, mais on nen revient pas...Fais-moi mal, jaime bien...
Précisons deux ou trois choses, en nous mettant tout dabord dans la peau de celui qui reçoit les coups. Même si ce nest pas forcément la place à laquelle vous aspirez dune manière générale, cest celle que nous vous conseillons dessayer pour commencer. Daprès une enquête très informelle auprès dun échantillon "actif" de la population (vous les reconnaîtrez aisément : ils ont le regard fier), on ne peut pas être un bon maître si on na pas été esclave. Les plus impitoyables donneurs de corrections prennent souvent grand plaisir à se faire battre, à leur tour. Avant de vous lancer, si vous êtes novice, allez traîner dans les bars appropriés : observez, posez des questions. La réversibilité du maître devrait vous rassurer ; elle est signe que vous nêtes pas sur le point de vous jeter dans les pattes dune épaisse brute sans âme.
Quand on écoute les récits dexpériences vécues par les fouettés, on y trouve toujours les mots "désir", "envie", "irrésistible". Cest cette force incroyable qui vous oblige soudain à faire trois fois le tour dun bar parce que ce petit mec aux yeux bleus, là-bas, appuyé tranquillement sur le comptoir, porte une matraque à la ceinture ; un peu plus tard, étalé sur le sol, vous vous prenez des coups, de plus en plus fort, cest la première fois et vous adorez ça, oui, on finit par vous marcher sur les mains et vous latter le dos, le cul, vous avez peur, vous avez mal, vous apprenez, vous comprenez votre corps tout autrement et vous jubilez, aussi : pour rien au monde, vous néchangeriez votre place, à ce moment-là...
Ce nest pas une mauvaise idée, la première fois, de vous laisser malmener dans un bar. La présence du public peut vous rassurer. Surtout, nentreprenez rien si vous ne vous sentez pas en parfaite confiance avec lautre (ce conseil de bon sens est valable pour tous les plans hard, mais je ne vous apprends rien, si ?). Tant que nous sommes dans le ça-va-de-soi, mettons laccent sur quelques détails agréables. La musique, par exemple, vous aide à vous laisser aller, vous porte, vous permet de mettre votre corps "en avant". Certaines odeurs ne font pas de mal, au début ; si tout va bien, au bout de quelques minutes, vous devriez laisser votre petite bouteille tranquille et vous fabriquerez vous-même vos propres euphorisants... Autre chose : vous pouvez avoir envie dêtre attaché pendant quon vous fouette. Cest paradoxalement assez déculpabilisant. Vous pouvez aussi mettre un point dhonneur à vous laisser meurtrir libre de toute entrave. On ne parle pas assez de lorgueil démesuré de lesclave...
Enfin, personnellement, jaime beaucoup être fouettée dans les bras dun ami attentif, bienveillant, qui me "garde" : il me soutient quand je tremble, mattrape par les cheveux quand je gronde de rage, me caresse la joue quand je pleure et ne mempêche pas de me débattre. Donc, si vous avez ce genre dami...... Tu me remercieras plus tard.
Un jour, le maître, cest vous. A moins que vous ne vous sentiez investi dune mission particulière (genre bras armé de la justice) aux dépens dun mauvais sujet exaspérant, nous vous suggérons de commencer doucement (et peu importe linstrument que vous manipulez), de caresser le corps de lesclave avec les lanières pour que celui-ci prenne bien conscience de son enveloppe charnelle avant que vous ne passiez à des coups plus sévères. rappelons que toutes les activités évoquées dans ces quelques pages sont à la fois cérébrales et terriblement sensuelles. Si vous attaquez trop fort demblée, votre partenaire naura pas le temps de décoller, vous allez le mettre de sale humeur, il naura plus envie de jouer, et là, vous aurez lair fin. N oubliez pas de regarder votre esclave dans les yeux (vous navez pas honte dêtre celui qui fait mal, non, vous êtes calme et parfaitement sûr de vous) : cest aussi de cette manière que vous le tenez, que vous le forcez, quil se donne à vous. Le désir, lexcitation, lassurance quil lit dans votre regard lencouragent à aller plus loin, pour vous.
Un jour, celui qui proclamait la veille que les claques, merci, très peu pour lui, trop violent, trop humiliant, trop..., celui-là est à genoux devant vous, vous venez de le fouetter vigoureusement et là, vous lui relevez la tête et vous le giflez à toute volée, une fois, deux fois, dix fois ; vous sentez son étonnement, son trouble, mais il ne recule pas, il vous permet tout, il vous veut, plus loin, plus fort encore, plus ardent. Et quand vous le recevez dans vos bras, à la fin, éperdu, bouleversé, les liens entre vous sont beaucoup plus serrés : il vous appartient, oui, mais cest réciproque... Et que laffaire soit avec ou sans lendemain ny change rien..."Jaime le fouet, jaime fouetter et être fouetté. Une des plus belles expériences que jai vécues jusquici est celle qui ma permis de me faire battre jusquà en casser un fouet de cuir tressé sur moi. Javais tellement envie de ce mec, depuis si longtemps... Il ma attaché à un poteau, et fouetté. Javais mal, très mal mais je voulais tenir, lui montrer jusquoù il pouvait aller (et jusquoù je pouvais aller, moi aussi). Je voulais quil soit fier de moi. Cest cela, le dépassement des limites. Il ne peut pas être que physique, il faut avoir des liens avec son maître, avec sa larve. Cest lesprit qui fait avancer la machine.
A linverse, lors dune bonne séance avec une amie que je corrigeais copieusement, je la voyais pleurer, se tordre, gémir, elle agrippait lami qui la soutenait, mais elle voulait aller plus loin, plus fort. La flagellation sert souvent dexutoire, la douleur permet à celui qui la subit de se concentrer sur son corps, de laisser le stress, ou la peine, s échapper. Comme par envoûtement, plus elle en voulait, plus je lui en donnais. Cétait elle qui (comme toujours en SM) dirigeait le dominateur ; elle mexcitait, elle me faisait bander à frapper plus fort, à être plus dur, plus vicieux. Elle encourageait mes tendances hard, à la surprendre, à la dérouter, à lemmener jusquà lorgasme. Nous étions tous les deux aussi dépendants lun que lautre de la douleur."Hervé
"Je me rappelle une séance particulièrement éprouvante, au fond dun bar aux murs de béton, où je métais mise à la merci du "chat sauvage" évoqué au début de cette enquête. Il nétait pas seul : Hervé et un autre ami laccompagnaient. Cétait interminable. Après les coups de martinet, les coups de fouet, jai fini par tomber à genoux, stupéfaite de sentir à quel point je pouvais désirer les coups, les devancer, les provoquer, en vouloir encore. Je me rappelle, oui, toutes les pensées paradoxales qui me martelaient la tête : je suis peut-être à terre mais je suis la plus forte, cest moi qui lai choisi, mon bourreau, et cest moi quil aime ; cest moi qui le toise au plus près des yeux quand il me relève la tête, tenue par les cheveux, pour me cracher à la gueule - tu sais ce que tu me fais, salaud, tu me fais mal et tu aimes ça, et cest exactement ce que je veux - ; cest moi qui souris alors, moqueuse, martyre, les yeux pleins de larmes, les joues brûlantes, après quatre paires de gifles fracassantes - jai ton souffle sur mon visage, tellement près, je meurs de découvrir dans ton regard, ton regard qui est lexact reflet du mien, cette lumière redoutable, irrésistible, la lumière proche de la folie qui dit : tout est possible, il nest de limite que lépuisement de nos corps, jusquà cette extase amère, mouillée, jusquà poser ma tête au creux de ton épaule, sentir avec reconnaissance la caresse de ta main sur mon dos zébré de rouge, pleurer encore, tout doucement, parce que cest douloureux aussi de pardonner, et te regarder encore, lire létonnement dans tes yeux et dire merci, pour avoir osé maccompagner là-bas..."
Ninon
Ne restons pas les bras croisés.
Le fouet : un manche plus ou moins long, une mèche unique, en général, souvent de cuir tressé ; ça ne se trouve pas partout, et tant mieux. Le fouet, le vrai, cest pour les dégourdis, et je ne plaisante pas. Ne frappez personne avec un fouet avant davoir pris des leçons auprès dun spécialiste. Cest bien clair ? On se colle très facilement la mèche dans loeil, par exemple ; après la visite aux urgences ophtalmo, il ne restera pas grand-chose de votre aura de dominateur.
Le martinet : laissons de côté le vilain truc déplumé à manche jaune que proposent toutes les drogueries. Faites plutôt le tour de vos boutiques daccessoires favorites pour sélectionner lélu de votre main. Le manche ne doit pas glisser ; sa longueur est affaire de goût. Il faut surtout quil soit suffisamment lourd : vous pourrez ainsi vous aider de son poids sans devoir cogner comme un sauvage. Du côté des lanières, tout dépend : en général, plus elles sont fines, plus elles coupent. Une bonne longueur (au moins quarante centimètres) vous permettra de tourner autour de votre victime, de lenvelopper de cuir. Les martinets de daim sont très agréables, ils permettent déchauffer progressivement le corps de lesclave avant de passer à des activités plus coriaces. Méfiez-vous des martinets de latex. Observez les lanières : fines et plates, taillées dans le même matériau que les T-shirt, par exemple, elles seront trop légères, elles semmêleront et retomberont dur votre main bêtement. A éviter. Les engins possédant des lanières à section ronde et à lextrémité biseautée sont à manier avec la plus grande prudence. Vraiment. Ça fait très mal, ça entame très vite la peau et ça laisse des marques pour longtemps. Du calme, donc.
La cravache : vous serez bien inspiré de lacheter dans un magasin de sport, spécialisé ou non dans léquitation. Vous bénéficierez dun choix fort vaste et de prix réalistes. Ce bel objet, très fantasmant, demande une main ferme et un poignet souple. On ne frappe pas avec la tige mais avec la mèche, on donne de petits coups précis et on ne déploie pas tout son bras, juste le poignet. Lintérêt, cest la répétition de ces coups sur les zones sensibles du corps... les tétons et les couilles, par exemple.
Un peu de botanique : vous constaterez par vous-même que les orties poussent difficilement sur le bitume des grandes villes. Courez plutôt chez votre fleuriste favori et offrez-vous une ou deux bottes de beargrass, une herbe très longue, fine, souple et solide. Vous comprendrez très vite la manière de les utiliser dès que vous les tiendrez en main. Méfiance, ça coupe drôlement fort. Le lierre et, dune manière générale, la plupart des feuillages utilisés pour étoffer les bouquets sont très plaisants à manipuler. Les souples branches cinglent et claquent, les feuilles volent, la peau rougit : un régal...
Enquête : Ninon
Merci à Pascal, Jean-Michel, Thomas, Christophe... et surtout à Hervé !
(Copyright Projet X)