L’ivresse des profondeurs.

Votre beau journal préféré n’est pas forcément l’endroit le plus propice à l’hébergement d’une thèse de linguistique comparée, je vous l’accorde. Mais pourquoi diable la réjouissante activité qui nous occupe se nomme-t-elle « fist-fucking », en français dans le texte ? C’est un peu agaçant, cette soumission à l’impérialisme anglo-saxon, y compris dans les profondeurs de nos « backrooms ». On ne pourrait pas juste se faire pogner le cul sur une balancelle dans une chambre noire, par exemple ? Ce serait moins bandant ? Ça sentirait l’étable ? Ça prêterait au ricanement ? Ou bien ne serait-ce pas parce que, en utilisant enfin de vrais mots en-vrai-français-qu’on-comprend- parfaitement, le réel scandale de cette pratique nous apparaîtrait enfin dans toute sa profondeur, si j’ose dire ? « Fous-moi ta main dans le cul », ça vous a quand même une dimension moins anodine que le pauvret « fiste-moi », non ?

De toute façon, Raymond Queneau est mort depuis bien longtemps, alors, usons sans vergogne des anglicismes en vigueur chez toute bonne salope qui se respecte, mais ne croyez pas que ça me fasse plaisir.

Le fist-fucking, donc, pour ceux de nos lecteurs qui seraient parfaitement réfractaires à la langue de Monica Lewinsky (d’accord, j’arrête. Mais il faut bien renouveler les métaphores, de temps à autre.), c’est « l’enculage au(x) poing(s) ». Et le fist, chers lecteurs, est forcément fait pour vous : oui, vous êtes probablement amplement pourvus de deux mains préhensiles et aisément repliables ainsi que (ne courez pas vous planquer derrière un pilier, on ne peut rien me cacher) d’un trou du cul avenant et vraisemblablement averti du fait que la sodomie n’est pas une région montagneuse de l’Europe de l’Est. Par ailleurs, vous êtes peut-être las de crapahuter avec votre caisse à outils sur l’épaule quand vous arpentez la terre battue des « bars chassants » ou que vous allez dîner voire plus si affinités chez vos amis. Je le répète : lecteurs répugnant à l’usage du sac à main, le fist a tout pour vous plaire.

Soyons terre à terre, pour commencer.

De quoi avez-vous vraiment besoin, en effet, hormis les deux particularités physiques précitées ?

1 - d’une lime à ongles ;

2 - de gants ;

3 - de lubrifiant ;

Tout ça tient facilement dans une poche de bombers ou de perfecto, il me semble.

Facultatif :

4 - d’un petit flacon d’aromatiseur d’espace (je traduis) ;

5 - d’un petit hamac ;

6 - d’un petit lavement.

Revenons sur les trois premiers points.

D’abord, le fisteur veillera à l’état de ses ongles : ceux-ci doivent être courts, parfaitement limés et sans la moindre aspérité. Pendant qu’il y est, le fisteur aura la présence d’esprit d’ôter ses bagues, chevalières et autres montre et bracelets de force. On en connaît qui sont distraits, ou cruels. Mais, et vous n’avez pas fini de l’entendre, de trou du cul, vous n’en avez qu’un. Alors, pas de ça, Lisette.

Ensuite, le fisteur sera bien inspiré de mettre des gants, en latex de préférence et à sa taille (en vente dans n’importe quelle supérette ou chez notre bien-aimé BHV médical), et ce pour deux raisons : le fist est considéré comme une pratique sans risque, certes, mais votre main est rarement vierge de toute microcoupure, miniplaie ou autre bobo susceptible de transmettre le VIH (ou de le recevoir) ; par ailleurs, essayez de vous rappeler toutes les surfaces couvertes de germes, de pisse, de bière, de crapoteries diverses que votre main a touchées avant de s’aventurer dans le fondement de votre camarade de jeu. Vous ne vous les mettriez pas dans la bouche, si ? Alors, allez vous savonner les mains avant de procéder ou mettez des gants, c’est bien plus simple. Et plutôt après l’avoir aidé à enfiler ses grosses rangeos boueuses dans les chaînes du sling (j’ai craqué).

Enfin, cette introduction manuelle n’allant pas de soi, il sera bon d’utiliser du lubrifiant, et plutôt pas celui dont vous enduisez généreusement vos capotes, qui finit par dessécher les muqueuses, et par sécher tout court. Vous n’hésiterez pas à acheter du lubrifiant approprié, c’est-à-dire gras, chez vos fournisseurs habituels. Il est facile à reconnaître, c’est celui qui est indiqué comme « non condom compatible » (je m’habitue). Plus rustique, plus festif, le Crisco TM, graisse végétale recommandée, outre-Atlantique, par tous les cordons bleus pâtissiers, est en vente (cher) chez les mêmes dealers et (moins cher) dans les épiceries américaines, qui pullulent un peu partout mais peut-être pas à Saint-Jean-de-Luz. Ceci dit, je me demande si le Planta fin TM ou la Végétaline TM ne feraient pas tout aussi bien l’affaire pour carrément pas cher du tout, mais le French fisteur semblerait préférer la graisse exotique, tellement plus trendy.

Passons au facultatif. Votre petite bouteille favorite, là, aurait tendance à vous dilater autre chose que la rate, mais également à amoindrir vos réflexes, que vous soyez fisteur ou fisté, et à faire baisser votre vigilance à grande vitesse. Chez le fisté, notamment, les sensations seront altérées et la douleur ne fera plus office de signal d’alarme. Le fisteur, lui, aura tendance à se croire tout-puissant et ça n’est pas très malin.

Parlons du support technique du fisté : il y a, en gros, deux positions : à quatre pattes ou les pattes en l’air sur un sling. Celles-ci présentent à peu de choses près les mêmes avantages et inconvénients que la levrette et le missionnaire, respectivement (Vous me suivez toujours ?).

Certains se sentent beaucoup plus à l’aise dans l’une ou dans l’autre, et elles valent le coup qu’on s’y essaie toutes les deux. L’introduction peut être plus aisée dans un cas (ou l’autre), suivant la géographie rectale de votre partenaire. En fait, souvent, « ça passe » mieux à quatre pattes, mais ça finit par faire mal aux genoux (les coussins, c’est pas fait que pour les chats) et vous êtes privés de la communication visuelle et des caresses que peut vous dispenser votre fisté si vous lui faites face.

Enfin, abordons le cas épineux du lavement. Sûrement, il vaut mieux avoir le cul propre, sauf en cas de plan crade prémédité. Donc, lavement, de préférence pas trois minutes avant de commencer : l’eau irrite les tendres muqueuses et l’évacuation n’est pas toujours complète... Une petite heure avant, voilà un délai raisonnable.

Ceci dit, ne vous leurrez pas : comme nous le rappelle gentiment la Drummer, le trou du cul, c’est par là qu’on fait caca et, oui, il arrive assez régulièrement qu’on y trouve de la merde. Alors, dites-vous bien que quand vous travaillez un cul, c’est le premier truc que vous pouvez raisonnablement vous attendre à rencontrer, et que ce n’est pas si grave. Et vous, chers (futurs) fistés, arrêtez un peu de flipper à ce sujet : la peur d’être crade est la plus sûre ennemie de la détente de vos sphincters. Et si pas de détente, pas de fist.

Encore une fois, ce n’est pas parce que le fist est considéré comme un pratique « hard » que vous, fisteur, devez vous jeter comme une brute sur le premier orifice venu pour y faire plof-plof-plof et rentrer là-dedans comme un voyou. Ni que vous, fisté, devez vous laisser, sous prétexte que ça fait une demi-heure que vous somnolez sur le sling, ramoner par la première paluche qui passe. Vous avez un corps, et ce serait bien de l’écouter attentivement. Le machin artificiel que le corps médical propose en remplacement d’un trou du cul bousillé ne fait envie à personne de sensé, je crois.

Le fist, c’est une complicité intense, un formidable partage entre deux personnes (voire plus, mais c’est une autre histoire). Ça n’arrive pas toutes les cinq minutes, l’affection et la confiance : alors, si vous avez suivi une procédure normale d’approche/séduction/désir, vous parviendrez sans peine à un stade d’intimité tel qu’un peu de merde sur les doigts ou une série de pets bien frappés ne devraient ni vous faire gerber ni rougir de honte.

Vous n’aviez qu’à faire du tricot, hein, ça ne serait pas arrivé. Vous pouvez aussi ouvrir la fenêtre. Et mettre un peu de musique, gothique, classique, ce qui vous fait envie, mais pas une débauche de bpm. Vous avez remarqué que personne ne se fait fister au Queen. Il y a sûrement une raison.

Dernier point trivial : il y a une justice dress-codique. Les taches de Crisco TM et autres accidents de parcours ne font pas de vieux os sur le cuir ou le latex. Sur un 501 ou un T-shirt Gucci, si... A vous de voir.

Y’a pas que le cul dans le fist.

Une fois tous les détails techniques réglés, vous voici prêts pour la grande aventure cérébrale, hé oui, du fist. Comme me le disait fort justement Thierry, un spécialiste des deux côtés (on passe très facilement de l’état de fisteur à celui de fisté, et réciproquement) : « Quand le cerveau est ouvert, le reste suit. On se rend assez vite compte que c’est le cerveau qui commande. Donc, apprenez d’abord à vous servir de votre tête. »

Si l’on conçoit volontiers une « petite signature », une « petite ligne », une « petite pipe », on entend rarement parler d’un « petit fist ». C’est que ça prend du temps, cette opération...

Apprenti fisteur, même si vous avez affaire à un expert, faites-lui la grâce de ne pas lui boxer le cul après dix secondes chrono. Si vous n’avez pas introduit un doigt, puis deux, puis trois..., tourné, tâté, caressé, attendu, avancé, reculé, on ne vous laissera pas pénétrer plus avant. Les Mike Tyson des slings feraient bien d’aller hanter d’autres rings. Le fist, ce n’est pas un combat, c’est une escalade, une ascension commune, pas un viol.

Il ne faut pas croire tout ce que vous lisez dans les fracassantes nouvelles de votre mensuel de référence, ni, surtout, ce que vous voyez dans le moindre film de cul de base : ces avaleurs de poings, voire d’avant-bras, non, ils ne se font pas fister sans interruption pendant une heure trente. Les séances de préparation vous sont épargnées, vous manquez d’informations sur toutes les substances illicites que les acteurs se sont enfournées dans le nez, par exemple, et je suppose que vous n’ignorez rien de l’art du montage, qui permet de transformer quatre scènes de dix minutes en long plan séquence...

Encore une fois, rappelons que, tout comme les bites surdimensionnées, les culs aux dimensions de cathédrale restent l’exception, et pas la règle. De même que vous ne tirez pas sur votre queue à l’aide d’un palan dans l’espoir de la voir devenir aussi longue que celle du père Siffredi, ne rêvez pas de transformer votre ampoule rectale en tunnel du Mont-Blanc. Une main, c’est déjà pas mal. Deux mains, voire..., ça commence à tenir du miracle anatomique. Donc, si vous vous êtes déjà résigné à ne pas arborer la poutrelle de Kevin Dean, vous pouvez également vous épargner le regret de ne pas être intérieurement bâti comme la délicieuse et souple baronne de Clignancourt. Pas la peine de sangloter, respirez un bon coup, détendez-vous, et vous verrez, un seul poing, ça va déjà vous faire drôlement décoller.

Le fist n’est pas une discipline olympique : on n’est pas obligé de passer tous les anneaux.

Quoique...

Ça y est, vous avez introduit quatre doigts : c’est le moment de remettre du Crisco TM, à l’aide de votre autre main, à l’intérieur du rectum. Rentrez le pouce, tournez doucement le poignet, écoutez la respiration de votre partenaire : c’est quand il expire que vous pouvez avancer. C’est lui qui vous guide, qui, à la fin, vous aspire. Ne forcez pas. Respectez les mots d’arrêts de votre partenaire, ou ses gestes « doucement », « arrête », mots et gestes dont vous serez convenus au préalable, bien entendu. Ne vous effrayez pas si votre partenaire se met à vociférer, à râler : il se lâche complètement pour vous accueillir et ça passe toujours mieux en le disant. Si c’est vous le fisté et que vous débutez, ne retenez pas vos cris, vos soupirs, vos émotions : elles vous aident à monter, à vous donner à fond. Le fist, ça n’est pas bien élevé : c’est sauvage et bouleversant. Vous n’êtes pas à la messe, alors, laissez-vous aller...

Une fois la main à l’intérieur, explorez les environs, laissez au cul le temps de s’adapter à ce corps étranger tant désiré. Massez les parois, taquinez la vessie, et quand vous voudrez aller plus haut, ressortez un peu la main pour la déplier et trouver le premier anneau du bout des doigts. Pas de gestes brusques : vous n’êtes pas en train de scier du bois. Cette zone là est beaucoup moins sensible, et votre partenaire ne se rendra pas compte que vous être en train de le massacrer. A un moment, vous devriez sentir, très distinctement, battre son coeur : si ça, ça ne vous colle pas des frissons...

Cependant, les meilleures choses ont une fin. Là aussi, pas de bousculade. Le fisté doit se décontracter en respirant à fond et expulser lentement ma main du fisteur. Celui-ci ne doit pas retirer la main d’un seul coup, mais par paliers, en la faisant pénétrer de nouveau pour la faire glisser dehors de plus en plus. C’est de cette façon que le muscle anal se resserrera correctement. Je vous conseille d’appuyer avec les doigts de l’autre main tout autour de l’anus pour prévenir expulsion violente et non contrôlée. Ne laissez pas un champ de bataille derrière vous : vous pouvez rentrer délicatement les lèvres de l’anus avec le bout des doigts, c’est le moment d’être tendre si vous aviez oublié de le faire auparavant. Et puis, attrapez le rouleau d’essuie-tout et faites un peu de ménage sur les fesses de votre partenaire, en douceur, avant de retirer vos gants et de les jeter dans une poubelle. Vous n’attirerez pas le respect en plantant là votre fisté, les pieds toujours prisonniers des sangles du sling et le cul luisant de graisse, sans même lui dire merci, pour aller vous planter au bar en réclamant une bière à grands cris. Mais je ne vous apprends rien...

C’était un petit tour de la question . Essayez, pas avec n’importe qui, pas n’importe quand : le fist vous offrira, d’un côté comme de l’autre, si vous êtes patient et attentif, des sensations incroyables et inimaginables. Du bonheur, quoi.

Et puis, pour tordre le cou à une légende tenace, rassurez-vous, amis raffinés : nos amis très pratiquants et très accueillants font, je vous l’assure, toujours du bruit quand ils pètent.

Ninon

(Copyright Projet X)

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