ENQUÊTE ÉNERVANTE POUR MON RÉDACTEUR EN CHEF PAS ÉNERVANT,

ET J’APPELLE ÇA COMMENT, MOI ? AH ! OUI : L’AMOUR ET LE SM, SIR, YES, SIR !!!

Je le prends comment, moi, ce sujet ? Vous voulez vraiment qu’on parle d’amour dans le " magazine des sexualités hard ", c’est ça, Kiki ? Enfin, peut-être que, au même moment, dans son petit bureau, un journaliste perplexe de Confidences planche âprement sur le SM, allez savoir...

Mais pourquoi seulement 15 000 signes, alors que, dès qu’on y pense plus de cinq minutes, on est convaincu qu’on pourrait y consacrer au moins 350 pages sans avoir fini d’explorer ces vastes territoires déconcertants : ceux de l’amour et du SM. Ont-ils seulement des frontières communes, d’abord ? Parlez-en à votre crémier, vous allez voir.

Vous me direz : à quoi bon ? Ce n’est pas dans les crémeries qu’on achète du Crisco®. C’est exact. Discutons plutôt avec ceux de nos amis qui pratiquent. Qui pratiquent l’amour et le SM, je le rappelle.

Après quatre heures de conversation animée avec Jean-Claude, ma première victime, les réponses définitives ne se bousculaient pas ; les questions, en revanche, croissaient et multipliaient. Perplexe, je sommai mon camarade de prendre son stylo, histoire d’avoir une petite base de départ. Ce qui donna, un peu plus tard : " Quoi ? Tu disais, Ninon ? L’amour SM ? Tu penses à quoi en disant cela ? Au sentiment que l’on ressent avant, pendant ou après un trip ? Cette espèce d’état qui fait que tu as désiré ton partenaire du moment, l’as entraîné au plus profond de lui-même et l’as rassuré après pour qu’il " remonte " le mieux possible ? Pour moi, ce n’est pas l’amour SM, c’est le B.A.-BA du trip, ce qui fait que nous sommes humains et non des automates régis par nos couilles.

Non, l’amour SM, c’est un amour qui se construit, qui vit et s’amplifie, et à terme te détruit si tu ne sais pas le gérer. Celui qui t’apprend ton corps, ses limites, et surtout te permet petit à petit de te transcender. Celui qui t’apprend à intégrer tes pulsions, te rend complet et te fait t’assumer tel que tu es, te désinhibe totalement des contraintes de la " norme " physique et sociale. En fait, tu te retrouves détaché de la société, tu l’observes et tu respectes ses craintes et ses peurs vis-à-vis de toi. Tu peux enfin dire que tu aimes ou n’aimes pas telle ou telle pratique sans chercher la fausse excuse du : "J’aurais l’impression de trahir (de ne pas respecter) mon partenaire si je faisais cela avec lui." C’est le jeu permanent, la connivence, la complicité, celle qui te permet de triper sur un simple mot, un regard de ton partenaire, même dans une assemblée non avertie. C’est l’invincibilité, ce qui te place en position privilégiée même si toi ou ton partenaire allez chercher ailleurs de temps en temps. Le sexe perd même de son importance, devient une donnée comme une autre de ta vie. Et si, par malchance, l’histoire s’arrête avant son but ultime, tu restes abandonné comme une vieille guenille et pourtant tu ne parviens jamais à détester ton ex. Parce que, en fin de compte, le seul moyen de détruire un amour SM, c’est la mort, et encore, je n’en suis pas sûr. En fait, tu le conserves, cet amour, comme ta mère a conservé ta première brassière. Tu ne peux même pas le remplacer, tu ne peux que reconstruire un nouvel amour qui durera ce qu’il durera. Mais est-ce bien le lieu de parler de métaphysique dans un bouquin de cul ? "

Si je te châtie bien, c’est que je t’aime (bien)...

Je ne te l’envoie pas dire, mon Kiki. J’étais bien avancée, ceci dit. Ce qu’écrit Jean-Claude à propos de l’amour SM, je pourrais l’utiliser pour MA définition de l’amour tout court. Je veux dire, le truc qui vous attrape ici, là, et là aussi, révolutionne tous vos fondements, vous donne des frissons et le sourire, vous rend heureux, le vrai truc, quoi, pas l’amour bourgeois. C’est quoi, l’amour bourgeois ? C’est, je crois :

- " Et ton nouveau mari, là, tu l’as déjà larvé (fisté/fouetté/rincé à la pisse et à la bière/mis à l’abattage/enfermé dans un placard...) ?

- Ah non ! Je ne fais ça qu’avec des mecs que je ne connais pas, je respecte trop mon mec pour faire ces plans-là avec lui."

J’en reste perplexe. Parlons-en, tiens, du respect. Et de l’âge du capitaine. Emmanuel, qui passait par là, voit assez bien ce qu’est l’amour : " C’est une construction à deux, où chacun se doit d’être le plus vrai, le plus sincère, le meilleur possible, sans tricherie. " Et le SM ? " Pour moi, c’est encore un mystère. L’image que j’en avais, c’était des clones cuir qui se tapaient dessus sans crier gare. C’était dénué de sentiments, de respect. Maintenant que je connais des gens qui le vivent, je vois bien que c’est plus complexe, qu’il s’agit d’être humains et pas de dingues, et qu’on peut y être amené de façon naturelle par quelqu’un en qui on a confiance. Le SM pourrait être un fantasme passager dans une histoire d’amour, parmi d’autres ; ce qui me semble difficile, c’est de l’intégrer comme fonctionnement permanent. C’est une forme d’aliénation. " Et l’amour, alors ? Emmanuel fronce les sourcils et sourit : " L’amour, c’est également une forme d’aliénation..."

Des questions ? Doit-on aimer pour avoir des relations SM ? Est-ce que le SM, c’est uniquement pour des plans cul, ou est-ce que ça peut devenir un mode de vie ?

Une seule réponse : oui. Que ce soit pour une nuit ou pour le plus longtemps possible, qu’on soit sado ou maso, il faut investir de soi-même pour jouer. On joue avec des allumettes, on gagne des allumettes ; on joue avec son coeur, on gagne du bonheur, du vrai. D’accord, il arrive qu’on perde aussi, parfois, mais - et c’est un détail qu’on néglige trop souvent - l’amour n’est pas une Sicav. La confiance, le franchissement de ses limites, l’abandon à l’autre provoquent la naissance de sentiments : attachement, appartenance, dépendance, reconnaissance. Et tout ça, ce n’est pas de l’amour, peut-être ?

Si je t’aime, prends garde à toi ?

Peut-on avoir des pratiques SM quand on est amoureux ? Les avis sont partagés. Thierry, lui, n’y croit pas tellement : " Les sentiments me brideraient et prendraient le dessus sur le physique. Quand je tombe amoureux, ma sexualité est amputée, j’ai des réserves, des limites, ce qui n’est absolument pas le cas dans une relation SM. L’amour, pour moi, c’est vivre ensemble, dormir avec son mec, se réveiller dans ses bras, prendre le petit déjeuner ensemble, c’est l’intimité. Il y a plein de choses que je peux faire avec certains mecs, que j’aime d’amitié, que j’ai comme amants, réguliers ou pas, et qui ont un caractère qui serait incompatible avec la vie quotidienne.

Les mecs, en général, sont très coincés, quand on leur demande ce qu’ils cherchent, ils n’en savent rien. Un mec qui manque d’assurance, ça me permet de jouer ; ce qui m’excite, c’est de sentir le désir du mec monter, la découverte, le plaisir de lui apprendre des trucs nouveaux. Ceci dit, une relation SM suivie doit être beaucoup plus épanouissante, parce que tu connais bien le mec, que tu peux le faire évoluer.

Ça m’arrange d’avoir un mec pour les sentiments, la sécurité, le confort d’un lit douillet. J’adore rentrer me coucher avec mon mec après un bon plan, comme ça, j’ai les deux. Avec ton mec, dans le SM, au bout d’un moment, tu tombes dans une routine. De toute façon, je continuerai à voir d’autres mecs ; je ne suis pas fidèle, c’est clair dès le début. C’est un peu pervers de jouer à ça avec son mec. Par exemple, mon mec avait accepté un plan fist à quatre, pour me faire plaisir, ça le faisait fantasmer, mais là, il n’a jamais pu assumer que je puisse être passif (c’est une posture plus dangereuse), que je me donne à l’autre, que je change de rôle.

En fait, c’est sûrement mieux d’avoir un mec à la maison pour faire des plans qu’en j’en ai envie plutôt que d’aller traîner dans les bars toutes les nuits pour ne pas toujours trouver grand-chose, d’ailleurs" ! Comme beaucoup, j’ai peur d’une relation de couple SM. Si les sentiments prennent le dessus, je ne peux plus humilier mon mec, me laisser aller. L’usure de la sexualité dans le couple, avec le temps, finit toujours par poser un problème. On peut apprendre à la gérer différemment, en se donnant de l’air. En fait, je suis aussi un grand timide, et je n’ose pas demander ça..."

On le voit, on peut affirmer des choses et rêver parfois de leur contraire. Dans ce qui nous occupe, l’âge joue réellement un rôle important. Ce n’est déjà pas toujours simple de s’accepter en tant que pédé, alors, pédé hard, pédé SM, au secours ! (Ça vous console si je vous informe que les hétéros SM sont confrontés aux mêmes difficultés, et rejetés de la même manière par la société dans son ensemble ?)

Mais quand on aime quelqu’un, il n’y a plus aucune raison pour avoir honte de quoi que ce soit ; on devient plus fort, y compris pour oser, pour accepter ses fantasmes même s’ils sortent de la " norme ".

C’est quoi, cette bouteille de lait ?

Je continue mon périple, et j’écoute les propos de Thomas, un adepte récent (du SM, pas de l’amour...) : " Avant, je croyais que les plans bougies, le fouet, le fist, tout ça, c’était des jeux d’abrutis, de gens tarés, bons pour le psy. Depuis que j’ai découvert le SM, pour moi, c’est : "Je sens, donc je suis." Ce n’est pas forcément sexuel, c’est plutôt sensuel, c’est quelque chose dans la tête, pas dans la bite. En fait, je dirais que je branle mon ego avec le SM. A la fin d’un plan, je me réjouis d’être allé à un point que je ne m’imaginais pas, d’avoir éprouvé autant de plaisir, de me sentir aussi fort. N’importe quelle pratique, du moment qu’on est consentant, pour moi, ce n’est plus SM (là, c’est une personne dominatrice qui abuse de l’autre). Un maître ne peut être bon que s’il a été aussi soumis.

Dans un cadre défini, et à respecter, ça peut donner une relation très harmonieuse, avec beaucoup de plaisir. La première fois que j’ai été dominé par Hervé, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait, au début. Dans ses yeux, j’ai vu une confiance que je n’ai jamais retrouvée ailleurs ; je savais que je pouvais me laisser aller jusqu’à un point inimaginable, et ça m’a fait trembler, jouir, j’étais sur un nuage. C’était très excitant parce que c’était en public, il y avait l’odeur du cuir, de l’alcool, des cigarettes, son regard sur moi, sa voix, je sentais autour de moi les gens qui comprenaient, qui me disaient : "Vas-y, tu peux aller plus loin...", et ça, c’était génial. Je n’ai senti que le bien, pas la douleur.

Le SM, c’est un échange, une relation de confiance. Mais enfin, on parle de SM pour donner un nom au bébé : est-ce que c’est sadique (ou masochiste) de donner du plaisir à quelqu’un ? C’est comme un ecstasy sans ecstasy. Pas besoin de drogue pour te mettre dans un état supérieur à toi-même, c’est toi qui fabriques la drogue. Tu sens plus fort, tu vis plus vite, tu te donnes dans un esprit ouvert. Et si tu vis une relation SM au quotidien, tu peux avoir également des rapports tout à fait "ordinaires" avec ton partenaire. Dans ce genre de relation, tu es plus pur, tu comprends beaucoup mieux ta vie parce que tu te retrouves dans des situations de transe, de "transe-lucidité". Tu es subjugué, envoûté, c’est quelque chose de mystique qui passe."

Pascal voit les choses encore différemment : " Pour moi, le SM, contient l’amour en raccourci. J’ai toujours dissocié la baise de l’amour. A cause de ça, je suis un "impotent de l’amour". Avec le SM, c’est tellement intense que c’est l’équivalent d’une relation amoureuse. C’est l’apologie du jeu, un condensé de la vie. Par le SM, grâce au jeu, tu combles tous les manques, les frustrations du quotidien. C’est un très bon garde-fou. Si tu n’as rien d’exceptionnel dans ta vie, tu vas rechercher la norme, la "baise à la papa". Si tu es sensible, si tu observes, tu écoutes, si tu es bousculé par ce qui t’arrive, tu reproduis la violence de ta vie dans ta sexualité, tu joues avec les sentiments qui t’ont bousculé.

La découverte de tes limites, et surtout de celles de l’autre, t’apporte réconfort et confiance en toi. Les limites, ça n’a rien à voir avec le sport : on ne joue pas avec le feu, on le maîtrise. Dès que tu sors de ton milieu protégé, où il y a d’autres normes, beaucoup de gens prennent le SM au premier degré : pour eux, c’est la sexualité d’une bande de névropathes. Pourtant, dans le SM, c’est la victime qui a le pouvoir, qui dit : "On continue, on arrête." La vie, à la base, est un jeu."

Souffrir par toi n’est pas souffrir.

Je reprends le flambeau au vol. Jouer, quand on est petit, c’est très sérieux : les enfants font ça le plus gravement du monde et ça leur fait plaisir. Le SM, c’est se donner le droit d’être pur et ultime, de jouer encore, à l’âge adulte, de se déguiser comme on veut, en flic, en sirène de latex, en instructeur impitoyable, en motard bardé de cuir, en pompier éperdu, d’être à la fois un autre et soi-même, supérieurement soi-même, et s’offrir des moments où, comme quand on a sept ans, tout est possible, où on ne se refuse rien. Le SM, c’est peut-être une forme sophistiquée, parfaite de l’amour, parce qu’on choisit de vivre une histoire qu’on met en scène, qu’on verbalise, qu’on extériorise, qu’on sort de sa pente naturelle : on travaille, on cherche, on imagine ; on ne peut pas se reposer sur les lauriers lénifiants du quotidien.

Le SM, dans un couple (et qu’on vive ensemble ou chacun chez soi n’est pas très important), ce n’est pas " placer toujours la barre plus haut ", c’est " toujours placer la barre ", vivre à deux cents pour cent de ses capacités, se dépasser, s’étonner. Et si, comme on le raconte, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, le SM, c’est chercher des preuves et s’en offrir, en offrir à l’autre chaque jour.

Ça ressemble assez à ce que vivent Guy et Stéphane, ensemble. Si Guy est l’esclave de Stéphane, il ne s’agit pas d’humiliation, comme quand on dit : " Larve-moi " au premier mec qui passe dans la backroom, mais d’appartenance. Pour eux, le SM n’est pas un moyen pour évacuer son stress, ses problèmes, ses traumas : il s’agit de plaisir, d’envie, de désir, pas d’une séance de psy. Ils pensent que le couple aide à l’acceptation de soi ; on peut se dire : " J’aime dominer, j’aime être soumis ", on en retire de la fierté.

Ecoutons-les : " C’est comme quand on te traite de "sale pédé" : si tu assumes d’être pédé, tu n’es pas humilié, tu rigoles. Le SM en couple, c’est aussi l’inévitable rencontre avec la vie quotidienne, qui impose de sortir des rôles du jeu à deux, de réinterpréter les décisions personnelles, dans le travail, la vie sociale... Mais on offre à l’autre son imagination, sa créativité, l’un comme l’autre. Quand on fait des plans tout seul, c’est pour se dépasser, mais après, on doit gérer ça tout seul aussi. A deux, tu vois si tu as vraiment compris ou non, c’est comme un miroir, ça permet d’y voir ta propre voie, d’y trouver vraiment du sens, c’est moins égoïste. Et quand tu fais du SM "individuellement", avec des plans sans lendemain, tu deviens facilement fétichiste d’un seul truc. A deux, tu composes, tu apprends les fantasmes de l’autre, tu progresses, tu découvres d’autres trucs. Ça a un côté intemporel, ce n’est pas seulement l’histoire d’une soirée, d’un week-end : l’histoire s’affine, on a du temps. Comme c’est construit, on veut étonner l’autre. Et comme on se connaît très bien, la communication est instantanée. Ça nous amène à quelque chose d’authentique, on a l’habitude et ça n’est pas ennuyeux, c’est plus facile, au contraire, parce qu’on est tranquilles, complices, on peut aller aussi loin qu’on veut, on ose. "

Guy remarque : " Stéphane me pousse toujours au-delà de ce que j’avais imaginé oser faire. Quand tu ressors de ça, tu es vibrant. Parce que j’ai une totale confiance, je peux faire des trucs incroyables, comme aller courir à poil à Verrières ou me promener dans la rue, à deux heures du matin, uniquement vêtu de latex liquide. C’est un défi permanent. Et si je garde (presque) en permanence autour du cou le collier que Stéphane y a attaché, c’est pour porter ce lien entre nous. Ça ne veut pas dire que je suis un soumis, un esclave en général, que j’appartiens à tout le monde, non : ça veut dire que je suis l’esclave de Stéphane. "

Et Stéphane d’ajouter : " Je ne suis pas jaloux, mais ça ne veut pas dire que j’ai l’intention de prêter mon mec à n’importe quelle brute ; je ne veux pas qu’on l’humilie. Et quand on fait des plans avec d’autres mecs, même si on les respecte toujours, bien sûr, même s’ils s’éclatent aussi avec nous, l’autre, en fait, devient un outil de plaisir pour notre couple. Le plus important, c’est ce qui se passe entre nous deux, ce lien secret."

Ces deux-là, ils ont l’air tellement heureux qu’ils font envie. Parce qu’ils osent, tranquillement. S’aimer, ne rien se cacher, ne rien se refuser. Voilà : je ne suis pas du tout certaine d’avoir fait le tour de la question, mais la conclusion tient en quelques mots : désir, confiance, respect. Et ça, ça ne se trouve sûrement pas sous la semelle de la première rangers venue, ça se mérite. Mais ça vaut drôlement le coup d’y aller, à fond, fièrement. Parce que l’amour et le SM, c’est peut-être bien la même chose...

Ninon

Je tiens à remercier tous ceux - qu’ils soient cités in extenso ou non... qui m’ont accordé leur confiance en témoignant, et dont les conseils m’ont aidée à avancer sur ce terrain... glissant, disons, mais ça doit être le Crisco®...

(Copyright Projet X)

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