L'exhibitionnisme
L'exhibitionnisme
n'est que depuis peu visé expressément par le droit pénal
français. Dans le Nouveau Code pénal,
on ne parle plus en effet d'outrage public à la pudeur, mais d'"exhibition
sexuelle" proprement dite. Ce délit concerne, comme on le verra
ci-apès, toute attitude publique - ou plutôt visible par des tiers
- considérée comme scandaleuse. Et ne sont pas seulement visés
ici les messieurs nu sous leur imperméable en position à la sortie
des écoles.
Le législateur, en changeant la terminologie de l'infraction, a simplement
voulu écarter toute répression du naturisme dans les lieux spécialement
aménagés à cet effet. C'est pourquoi l'"exhibition
sexuelle" n'est aujourd'hui répréhensible que si elle est
"imposée à la vue d'autrui".
Peu de poursuites sont cependant engagées contre les exhibitionnistes
au sens classique. Si leurs "victimes" les signalent à la police,
elles ne portent plainte que peu fréquemment.
Outre l'exhibition sexuelle, la corruption de mineurs peut être retenue
contre ceux qui montrent leurs attributs à la sortie des écoles.
Mis
à part ces cas stricto sensu d'exhibition
sexuelle, la loi vise à sanctionner les attitudes les plus diverses.
L'attitude impudique, pour être répréhensible, doit en premier
lieu être publique. Ce qui signifie qu'elle peut notamment se manifester
dans des lieux publics proprement dits : "les places
publiques, les rues, les jardins publics, les chemins publics ou ceux qu'une
tolérance ouvre à tous sur une propriété privée,
les cours d'eau et leurs rives, les bois et les champs non clos à proximité
de la voie publique". Sont encore concernés les lieux publics
intermitttents : "les églises, les écoles,
les hôpitaux, les palais de justices, les bureaux de poste, de nombreux
locaux administratifs, les boutiques et magasins, etc., et tous les lieux où
le public peut accéder en payant, tels que les restaurants et débits
de boissons, les salles de spectacles ou les engins de transport en commun".
En réalité, c'est la publicité de l'attitude impudique
qui est réprimée et donc la seule possibilité pour le ou
les fautifs d'être vus. Par exemple, le délit peut être caractérisé
de nuit, sans éclairage aucun, s'il est un tant soit peu possible de
deviner les ombres enlacées... Tout est donc affaire de publicité.
Peu importe que quelqu'un ait vu réellement l'acte
impudique s'il se manifeste dans un lieu public : l'infraction est constituée
dès lors que l'acte est visible.
L'outrage peut même avoir pour cadre un lieu privé,
s'il n'est pas suffisamment dissimulé aux regards extérieurs :
maison, jardin, voiture. Nombre d'anciennes décisions sur les "automobiles
à conduite intérieure" illustrent l'embarras des juges qui
s'interrogent pour savoir si les vitres du véhicule laissent deviner
ses occupants en plein effort. Il a déjà été jugé
qu'il y avait outrage public à la pudeur dans le cas de relations sexuelles
entreprises sur la banquette avant d'un camion militaire, dont la hauteur de
la cabine - environ deux mètres - rendait quasiment impossible de regarder
l'intérieur. A croire que les tribunaux veillaient à ce que ne
soit pas outragée la pudeur des basketteurs, des bergers landais et des
femmes girafes !
Pour ce qui concerne les appartements, la plupart des tribunaux estiment que
les ébats peuvent se dérouler librement dans une pièce
non visible de l'extérieur. Ce qu'on sanctionne,
c'est le défaut de précautions. On assiste donc dans les
prétoires à de grandes discussions pour savoir si l'intérieur
du logis est visible depuis la rue ou depuis un autre appartement.
Mais dès lors que la porte en est fermée et que l'appartement
ne peut être observé par des tiers depuis l'extérieur, il
n'y a pas d'outrage public à la pudeur. La Cour de cassation a ainsi
dédouané un couple qui ne fermait pas sa porte à clé
et ce malgré "l'usage dans les milieux ouvriers d'entrer sans frapper"
... Mais certains tribunaux ont été jusqu'à
exiger que la porte soit fermée à clé et ont condamné
les fautifs qui s'étaient laissé surprendre par un visiteur qui
n'avait pas frappé...
Un individu a été
puni pour avoir invité deux filles chez lui et photographié le
sexe de l'une pendant que l'autre protestait de cet outrage public à
la pudeur. Le public choqué par outrage à
la pudeur peut donc être constitué d'un seul témoin involontaire.
Il existe également une jurisprudence abondante sur les relations sexuelles
"commises" lumière allumée dans une pièce où
dorment les enfants de la femme.
De même, un individu a été condamné pour exhibition
sexuelle, après s'être déshabillé dans le bureau
de son avocate. La Cour de cassation a estimé que "s'il appartient
à l'avocat de s'assurer que les conversations qu'il a avec ses clients
restent confidentielles, il n'en résulte pas nécessairement que
le lieu où elles se tiennent soit inaccessibles au regard du public."
L'intention d'offenser la pudeur d'autrui n'est pas nécessaire
; il suffit de marquer de l'indifférence à cet égard et
de ne pas chercher à se dissimuler.
L'acte
en lui-même peut être très banal ou même très
"immoral". Les rapports sexuels, quels qu'ils soient, entre époux
sont ainsi suffisant pour être réprimés.
Il fut un temps où les amoureux qui se bécotaient sur les bancs
publics risquaient une condamnation. Depuis la dernière loi en la matière,
adoptée en 1791, la pudeur se sent heureusement de moins en moins outragée
en public.
Aujourd'hui les tribunaux voient encore défiler aussi bien l'exhibitionniste
et son imperméable qui s'ouvre au vent que les jeunes couples surpris
dans un buisson.
Les dragueurs homosexuels qui hantaient les vespasiennes ont longtemps fait
le bonheur des services de police. En témoigne cet extrait de procès-verbal
d'interrogatoire : " Je reconnais avoir pratiqué le coït buccal,
avoir masturbé mon pertenaire [...]. Ma verge était sortie du
pantalon et en érection lorsque vous êtes intervenus. J'ai cédé
à un moment d'excitation. Je venais de voir une jolie fille ou des amoureux
s'embrasser. Je ne suis pas homosexuel."
L'infraction évolue avec les moeurs et il est toujours très difficile
de cerner ou de définir les actes (ou les attitudes) susceptibles de
scandaliser. Ils n'ont en tout cas toujours pas besoin d'une lubricité
torride.
Il est à noter que les écrits, les dessins,
les graffitis, les affiches, les insultes même, etc. ne sont pas poursuivis
sur le fondement de l'outrage à la pudeur, mais sur celui d'outrage aux
bonnes moeurs.
Pendant longtemps, l'outrage public à la pudeur a servi à réprimer
ce qui aujourd'hui serait un viol ou un attentat à la pudeur : par exemple,
des attouchements avancés, un baiser volé, etc. Beaucoup de situations
se trouvent à la frontière de plusieurs infractions sexuelles
en fonction des circonstances : attentat à la pudeur, exitation de mineur
à la débauche, etc.
L'homme qui se soulage a longtemps laissé les juridictions perplexes,
tout magistrat pouvant admettre les affres d'une envie pressante.
Il a toutefois déjà été jugé qu'un homme
qui avait uriné par la fenêtre et, ce faisant, avait exposé
à la rue ses attributs avait bien attenté à la pudeur du
public. Les tribunaux sont d'ailleurs parfois saisis de cas où le besoin
d'uriner sert à justifier des agissements pour le moins curieux : "
le 23 octobre 1997, chargé de tondre une pelouse [...] M. P. s'est exhibé
et masturbé à deux reprises (une première fois à
9 heures et la seconde fois après le déjeuner), faisant en sorte
d'être bien vu par le personnel de la société [...] dont
les fenêtres donnent sur ledit chantier" Les juges ont souligné
qu'"il s'agit d'une zone paysagée récente et importante composée
de bâtiments modernes dont les vitres sont teintées pour protéger
le personnel salarié des regards indiscrets extérieurs. M. P.
ne nie pas avoir satisfait un "besoin naturel" derrière un
arbre assez récemment planté, d'un diamètre de 20 à
25 cm environ, donc nettement insuffisant pour cacher un être humain.
M. P., en revanche, nie s'être livré à des pratiques qualifiées
d'"outrage public à la pudeur", ces dernières ne présentant
aucun intérêt pour leur auteur, puisque invisible de l'intérieur.
M. P. assure ne pas connaître les agencements des bureaux, ignorer également
l'emplacement du standard de la société". Les magistrats
en ont néanmoins conclu que "malgré les vitres teintées,
les lumières se voyant de l'extérieur, prouvant ainsi la présence
des secrétaires à leur poste de travail" la surface du parc
aurait permis à M. P. de s'isoler pour ses besoins naturels".
Certains malheureux, aux besoins fréquents et incoercibles, obtiennent
cependant l'absolution du tribunal en arguant de leurs problèmes de prostate.
Ainsi, "un homme de cinquante-six ans est arrêté, parce que,
se trouvant dans un lieu public, il se livrait à des manoeuvres jugées
suspectes par les agents de police. Au moment de son arrestation, on constata
que, sous le pardessus dont il était revêtu, se trouvaient ses
parties sexuelles à nu, hors de son pantalon, et que sur le plancher
existait une tache faite par un liquide épais. L'examen permit de déceler
une hypertrophie de la prostate avec un rétrécissement de l'urètre
et une cystite purulente. Voici comment l'inculpé essaya de se justifier
:
"Dans l'impossibilité où je me trouvais d'uriner autrement
que goutte à goutte, j'ai pris l'habitude quand je me trouve dans un
lieu public et fermé, où je ne peux satisfaire à tous moments
à mes besoins pressant d'uriner, de déboutonner mon pantalon et
de laisser ma verge à nu sous mon paletot fermé ; de cette façon,
je n'ai pas à me retenir et je me soulage de temps en temps par l'émission
de quelques gouttes d'urine qui tombent à terre."
Le nudisme ne regarde
pas les tribunaux s'il est pratiqué dans les endroits prévus à
cet effet (propriétés privées, endroits notoirement connus
pour nudisme). Un arrêt de la
Cour de cassation, rendu en 1965, avait pourtant fait grand bruit en estimant
qu'une joueuse de ping-pong aux seins nus était un outrage. Les gazettes
judiciaires d'alors avaient fait leur manchette de "l'affaire du monokini".
De nos jours, c'est la mairie de Deauville qui traque à coups d'arrêtés
"les tenues dites torse nu ou en maillot de bain"...
Une décision contemporaine de celle de 1965 avait même sanctionné
un homme complice d'avoir aidé une jeune fille à retirer son chandail
et à exhiber sa poitrine.
Il faut dire que, pendant longtemps, les tribunaux ont montré plus d'indignation
que les victimes supposées et que leurs décisions elles-mêmes
étaient rédigées en termes outrés : un arrêt
de 1858 rapporte sans plus de détails que "c'est dans la boutique
d'un charpentier que Potin c'est livré sur la personne de la jeune Rousseau
à l'acte de lubricité brutale qui sert de base aux poursuites".
On ne saura jamais ce que Potin fit à Rousseau !
Le consentement de la victime ne change rien, en principe,
à la réalité de l'infraction : il en a été
jugé ainsi à propos d'une jeune fille qui s'était laissé
passer la main sous les jupes.
Mais le volontariat des victimes ôte tout caractère
public à l'outrage. C'est ce qui permet de ne pas sanctionner
systématiquement les spectacles pornographiques qui ont lieu devant un
public dûment informé. Certains organisateurs de spectacle ont
cependant été poursuivis pour n'avoir pas été assez
explicites dans la promotion de leurs attractions. Les spectacles de nus ont
pourtant laissé longtemps perplexes certains tribunaux, qui décidèrent
de les distinguer entre spectacles artistiques et spectacles impudiques : on
se livrait alors dans les prétoires à de savantes arguties byzantines
pour savoir s'il s'agissait d'une référence à la statuaire
antique ou d'un vulgaire strip-tease.
Il a parfois été
débattu de la recevabilité des preuves, notamment des témoignages
anonymes. Cependant, la Cour de cassation a estimé, en 1997, que ceux-ci
n'étaient pas nécessaires dans la mesure où "il a
été constaté par les enquêteurs, au moment de son
interpellation, que son pantalon et son slip était descendus jusqu'au
bas des jambes".
Quand aux sanctions, elles ont souvent été ubuesques. Une loi
du 31 mars 1928 prévoyait ainsi que les jeunes gens coupables d'outrage
public à la pudeur et en âge d'être incorporés devaient
être affectés d'office aux bataillons d'infanterie légère,
les célèbres "Bat. d'Af.".
Une loi de 1875 interdisait aux condamnés pour outrage public à
la pudeur de travailler dans l'enseignement. Une autre, de 1955, interdisait
jusqu'à l'exercice de la profession de professeur de judo et de ju-jitsu
!
Aujourd'hui, l'exhibition - ou considéré
comme tel - encourt un an d'emprisonnement et quinze mille euros d'amende. Il
peut en outre se voir interdire notamment l'exercice d'une profession commerciale,
la tenue de débits de boissons ou encore celle d'un établissement
de bienfaissance privée.
Par ailleurs, il s'agit aussi d'une faute pouvant justifier
un licenciement si les intéressés s'amusent sur le lieu de travail.
Il a ainsi été jugé que "la pratique sexuelle reprochée
à M. F. aurait pu être considérée comme appartenant
à sa vie personnelle si cette pratique était exercée en
un lieu confidentiel, mais que cette pratique apparaît comme une atteinte
aux bonnes moeurs à partir du moment où elle s'exerce dans un
lieu ouvert à un certain public, même si ce public n'est que personnel
de l'établissement. [...] les pratiques sexuelles de M. F. avec une autre
personne de même sexe, aux heures de travail et dans un endroit ouvert
au public dans un établissement hôtelier de luxe, ne supportant
pas de tels ébats sexuels publics sans porter atteinte à sa notoriété,
caractérisent un comportement contraire à la pudeur et non conforme
à l'exécution normale de son contrat de travail, le Conseil reconnaît
le licenciment pour faute grave".
Enfin, les victimes peuvent prétendre à
des dommages-intérêts, qui restent cependant très
délicats à chiffrer, car indexés sur... la pudeur de chacun.
© Ce texte a été tirer du livre Le Sexe et la loi, d'Emmanuel Pierrat, Edition La Musardine.
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